La généralisation du télétravail a profondément transformé le monde professionnel et les modes de vie. Ancré durablement dans les entreprises, cette tendance structurelle a surtout bouleversé le marché immobilier : baisse de la fréquentation des bureaux, taux de vacance plus élevés, migration vers les banlieues et éloignement des centres-villes. Dans un tel contexte, comment le travail hybride influence-t-il la dynamique des villes de demain ? Quelles sont les conséquences stratégiques pour les investisseurs immobiliers et les différentes typologies de propriétés ? Telles sont les questions qui ont été posées à sept équipes universitaires dans le cadre de la 2nde édition du Défi i3C, organisé par Ivanhoé Cambridge.
« La technologie, et plus particulièrement l’intelligence artificielle, transforme le monde et offre de nouvelles opportunités pour les acteurs de l’investissement immobilier. Pour encourager la recherche et le développement dans ce domaine, nous avons lancé cette compétition universitaire en 2022, explique Sarah Mjidou, notre directrice principale, Transformation numérique, Technologies de l’information, et marraine de l’événement. Le but de cette initiative est donc de créer des liens entre le monde académique et l’entreprise afin de faire émerger des solutions innovantes susceptibles de répondre aux besoins du marché immobilier. »
L’édition 2023 de cette compétition intra-universitaire a couronné le travail de deux étudiants de HEC Montréal – Yacine Ndiaye et Joel Crispin – et d’un étudiant de Polytechnique Montréal – Mady Semega – qui ont développé un modèle prédictif de données capable de naviguer dans la nouvelle réalité du marché du travail. « Notre mandat consistait à évaluer l’impact du travail hybride sur le marché de l’immobilier afin de faire des recommandations d’acquisitions ou de dispositions pour Ivanhoé Cambridge, rappelle Mady Semega. Nous avons alors développé un modèle prédictif pour plusieurs grandes villes américaines en fonction de différents critères afin de déterminer les meilleures villes et les meilleurs types de propriétés dans lesquelles investir, ou désinvestir, au cours des deux prochaines années. »
Une baisse de la valorisation des bureaux
Concrètement, leur modèle de données a été alimenté par un échantillon de données recoupant 915 villes différentes, 22 variables macroéconomiques et près de 20 variables explicatives. « Initialement, Ivanhoé Cambridge nous a donné accès à la base de données de Green Street, qui contenait de nombreuses données sur les propriétés commerciales, précise Mady Semega. En fonction des villes et des types de propriétés, nous avons trois niveaux de données que nous avons agrégé pour former des modèles par ville et par type de propriétés. » En parallèle, « nous avons utilisé des données macro-économiques, comme le PIB (produit intérieur brut), la population en âge de travailler mais aussi des données spécifiques sur le monde du travail et l’évolution du travail hybride », complète Joel Crispin. « Ces données nous ont ainsi permis d’inclure l’impact du télétravail sur les employés du secteur financier ou du conseil – deux des secteurs les plus fortement impactés par le travail hybride – et, ainsi, de voir les répercussions sur la performance des actifs immobiliers », ajoute Joel Crispin.
Ce modèle a également été entrainé sur des données historiques afin d’assurer les meilleurs résultats. Les trois étudiants ont ainsi pu faire ressortir quatre métriques clés qui viennent appuyer leurs recommandations : l’élan de valorisation des actifs (asset value momentum), le taux d’occupation des propriétés, le rang de désirabilité des villes et, enfin, le pourcentage d’emplois à distance. Au total, grâce à leur modèle, les trois étudiants ont pu évaluer 7 classes d’actifs : 3 types de propriétés commerciales (bureaux, industriel/logistique et les centres commerciaux) et 4 sortes de propriétés résidentielles (maisons multi-familiales, maisons unifamiliales, les maisons de villes ou « townhouses » et les appartements en immeuble ou « condos »). Ainsi, « dans le secteur résidentiel, nous avons constaté que les banlieues vont connaître de fortes hausses en termes de prix de propriétés », ajoute Yacine Ndiaye.
Outil d’aide à la décision d’investissement
Leur modèle a de surcroît permis de proposer quelques recommandations d’investissements sur la période 2024-2025 pour quatre grandes classes d’actifs : résidentiel, bureaux, centres commerciaux et industriel/logistique. « L’outil est capable d’analyser un nombre massif de données et, ainsi, d’établir un classement entre plusieurs villes et selon plusieurs types de propriétés, précise Mady Semega. Il permet donc de prendre des décisions d’investissement ou de désinvestissement selon des critères prédéfinis. C’est un véritable outil d’aide à la décision. » De fait, « nous avons déterminé certaines villes où, pour certaines classes d’actifs, il était judicieux d’investir, comme Las Vegas par exemple », souligne Yacine Ndiaye.
Ainsi, le modèle préconise d’investir dans des propriétés industrielles, en particulier dans les villes où le taux de capitalisation dépasse les normales attendues. Prenant le contre-pied du marché, il recommande également d’explorer les centres commerciaux dans certaines villes où les taux d’occupation et de croissance de revenus net s’avèrent particulièrement élevés. Enfin, leur outil conseille d’investir dans les développements de maisons unifamiliales à San José, une ville affichant les meilleures perspectives d’appréciation de valeur. En revanche, leur modèle recommande d’avoir une vigilance accrue sur les bureaux situés à New York et Chicago en vue d’une éventuelle disposition.